Derrière la peur, le saboteur

munch_TheScream

Je vous avais dit que je reviendrais à la peur. Je vais m’éloigner un peu de la poésie (voir ma publication précédente Et si la paresse cachait la peur?) pour tenter de comprendre clairement de quoi il s’agit.

A quoi sert la peur ?

La peur est là pour nous protéger. Techniquement, c’est une région du cerveau qui indique à une autre qu’il y a un danger et l’avertit de s’en protéger.

Contrairement à ce que nous dit le dicton, la peur évite le danger, ou en tout cas nous mène à nous comporter de telle façon que nous l’évitions. C’est ainsi que nous ne sautons pas du 5ème étage pour sortir de chez nous, que nous attendons que le flot de voitures soit arrêté par un feu rouge avant de traverser le boulevard ou qu’une grande partie d’entre nous évite d’ingérer des substances pouvant mettre notre vie en danger.

Chacun ses peurs

On voit déjà ici que la peur n’est pas la même pour tout le monde, ou à tous les moments de la vie. Si vous expliquez à un adolescent que la cigarette et l’alcool sont deux fléaux dont il doit impérativement se tenir éloigné, votre message a peu de chances de porter parce que le très jeune humain se sent immortel et que ces drogues ne tuent pas assez vite (si je puis dire) pour qu’il se sente concerné.

Au quotidien, nous vivons chacun avec notre lot de peurs personnelles, nées sur l’humus du manque d’estime de soi et des échecs douloureux.

Pour les uns, demander la femme qu’on aime en mariage, négocier une augmentation avec son patron ou quitter son job de banquier pour devenir ostréiculteur seront à la source d’une peur insurmontable, pour d’autres il s’agira d’une simple formalité.

A la rencontre du saboteur

C’est que nous réchauffons tous en notre sein ce petit personnage fielleux bien connu des coachs, que nous appelons le saboteur, et qui en chacun prend un visage différent.

Le saboteur est une forme raffinée et très civilisée de la peur. Il a grandi avec vous, c’est cette partie de vous qui va vous assurer que vous n’êtes pas assez bien pour elle, ou que qu’il est éhonté de demander une augmentation par ces temps de crise, ou que changer de vie vous mènera sûrement au désastre. Il vous dira que vous devriez vous contenter de ce que vous avez (pas si mal déjà n’est-ce pas ?) et de ne surtout rien bousculer. Le saboteur est là pour vous faire croire que si vous sortez de votre zone de confort, les pires atrocités vous attendent.

Attention danger !

Or, comme son nom le laisse entendre, il va non seulement vous empêcher de déployer vos ailes, mais son action peut même s’avérer dangereuse et contre-productive : si, convaincu par votre saboteur de ne pas mériter cette femme, mais réellement amoureux néanmoins, vous laisser un jour timidement flotter dans une conversation que vous n’êtes pas contre le mariage, la dame risque d’en conclure que vous aimeriez vous marier, mais pas avec elle, ou pas à ce moment là. Non seulement elle n’entendra pas la demande voilée, mais elle risque d’en prendre ombrage !

De même si plutôt que d’expliquer clairement à votre patron que vous êtes à l’origine de la quasi-totalité du chiffre d’affaires de ces derniers mois et que vous considérez que cela mérite une rémunération supplémentaire, vous tournez autour du pot en vantant les résultats récents de la société ou de l’équipe, vous risquez de terminer votre entrevue avec une enveloppe de primes pour votre équipe et rien pour vous !

Saboter le saboteur

Il faut donc saboter le saboteur. Plus facile à dire qu’à faire, et presqu’impossible à faire tout seul. S’il est né et a prospéré en vous, c’est que vous lui avez fait une place confortable et qu’il vous inspire un certain respect. Un des moyens de limiter sa capacité de nuire est de prendre conscience de son existence, de bien identifier ses zones de confort à lui et de se demander régulièrement s’il est aux commandes. Un coach sera d’une grande aide en la matière.

Et en attendant de tordre le cou à ce petit être malfaisant, faisons l’exercice de regarder bien en face nos peurs, de les évaluer honnêtement (le risque est-il si grand qu’elle refuse votre demande en mariage, qu’il refuse de vous augmenter, que vous ne retrouviez pas un emploi correct après une année sabbatique ?) et de prendre une décision en connaissance de cause. Si finalement vous « n’y allez pas » parce que vous estimez, après examen objectif de la situation, que vous avez plus à perdre qu’à gagner, vous n’aurez pas de regret et vous aurez franchi une étape, laissant derrière vous ce dilemme pour continuer votre voyage.

Ainsi maîtrisée, la peur devient une alliée sur le chemin de la vie.

 

 

Illustration: Le Cri

Edvard Munch 1893

Un petit mot sur ce tableau: C’est la première idée qui m’est venue à l’esprit pour illustrer la peur. Par curiosité, j’ai « googl-isé » le mot peur, et c’est la première image que Google propose. Un peu déçue d’une telle banalité, je demande à ma fille Louise, qui illustre parfois ici mes articles, si elle était inspirée par la peur. Elle m’a répondu qu’elle ferait bien quelque chose dans le genre du « Cri ». A ce moment là j’ai compris que nous tenions là une oeuvre qui touche à l’universalité, et que, aussi banal que mon choix puisse être, je ferais celui-là. Devant ce tableau, je défie qui que ce soit de ne pas être pris de terreur. Voilà comment l’art nous permet d’approcher la métaphysique par le biais des sensations.

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