Liberté chérie

Nous voilà à nouveau enfermés, c’est le moment de parler de liberté !

J’ai retenu peu de choses de mon cours de philo de terminale, mais une m’accompagne encore aujourd’hui: « La liberté, ce n’est pas faire ce que l’on veut mais vouloir ce que l’on fait ». Faire «ce qu’on veut » comme dans « je fais ce que je veux et je me fous des conséquences » n’a pas grand intérêt. La griserie de la liberté sera vite remplacée par les embarras qui en découlent et dont je ne veux pas. Le « je fais ce que je veux » envoyé à la figure d’un parent, d’un conjoint, d’un collègue, est plus un aveu de désarroi, de perte de repères et de destination, que de vraie liberté.

Car la liberté est quelque chose d’intérieur à soi, quelque chose que l’on peut générer à la demande. Et c’est ce qui a permis de tenir à ceux qui ont survécu aux pires enfermements de l’esclavage, des bagnes, des camps de concentration, des goulags, de l’apartheid et de tant d’autres formes d’emprisonnement infâme. Leur liberté intérieure, c’était de vouloir ce qu’ils faisaient : vouloir rester digne, vouloir la solidarité, vouloir ne pas tomber dans le piège de la haine, vouloir donner un sens à leur existence.

Or vous qui me lisez, vous êtes bien loin, par la réalité physique, de ces situations atroces. Mais peut-être êtes vous profondément affecté par ce confinement. L’extrême raréfaction du lien est très douloureuse. On sait que le cerveau humain a besoin de ce lien pour construire les connexions nécessaires à une vie harmonieuse et que l’absence de ce lien dans la petite enfance est à l’origine de pathologies lourdes. On sait qu’un lien bienfaisant renforce la santé et la longévité. On sait que les interactions sociales riches protègent en partie de la dégénérescence du cerveau. Donc, si le confinement vous prive de ce lien, vous êtes sans doute en grande souffrance. Il est possible aussi que vous soyez en danger matériel du fait de la perte d’une partie de votre revenu, qui, entier, ne suffisait déjà pas à vous sécuriser complètement. Il se peut que vous soyez jeune actif, fraîchement diplômé, que vous ne trouviez pas d’emploi ni même de « job étudiant» qui pour la plupart sont proposé par les restaurants, bars et boutiques aujourd’hui fermés et que vous soyez confronté à la fois à un manque de sens social et à un manque cruel d’argent. Ainsi, alors que le début de la vie d’adulte devrait être tissé d’espoir et d’enthousiasme, c’est un gouffre angoissant qui semble s’ouvrir sous vos pieds. Il se peut que vous ayez perdu un ou plusieurs proches dans cette épidémie, ou que vous-même ayez frôlé la mort, ce dont on ne revient jamais indemne. Bien des situations dramatiques se développent en ce moment. Elles ont besoin d’être nommées et reconnues.

Et puis, parce que nous n’avons pas le choix si nous voulons rester en vie, il nous faut fabriquer du sens avec tout cela. Et c’est là que la liberté intervient. Celle de ne pas se prostrer dans la position de la victime, celle de ne pas se répéter sans fin que c’est injuste, celle d’affronter le fait que nos croyances, qui nous tenaient si chaud, qui nous protégeaient de la violence des faits bruts, n’étaient que des croyances, et que la réalité nous demande de les remettre en cause.

Pour certains d’entre nous dont la vie est particulièrement chamboulée, cela ressemble à une rupture de contrat[1] avec la vie, l’univers, Dieu, chacun lui donnera le nom qu’il souhaite. Nous vivions à l’abri des murs qu’avait construit ce contrat imaginaire autour de nous. Et à l’intérieur de ces murs, la vie était juste, on était récompensé de nos efforts, et disons-le, le vrai malheur n’était pas pour nous. Ainsi la vie était acceptable. Mais ce contrat est parti en fumée, ce dont nos croyances nous protégeaient s’impose à nous, il apparaît que non, la vie n’est pas juste, que oui ça peut nous arriver à nous aussi, que non, on n’est pas toujours récompensé de ses efforts, etc…

S’offre alors la solution du désespoir. Mais aussi celle de l’acceptation, dans le sens profond du terme, à savoir l’absence de déni. Cela est. Je ne changerai pas les faits. Mais je peux changer ce que j’en fais. Relents de stoïcisme, mais que je propose d’adapter à la « normalité » de nos vies. N’est pas Marc Aurèle qui veut, et ceux qui se sacrifient toujours pour le bien commun sont à la fois admirables et un peu inquiétants. Mais vouloir faire est accessible à presque tous. Vouloir se relever, vouloir tendre la main, vouloir trouver le beau au milieu de des décombres, c’est accessible.
Maintenant que nos croyances se sont écroulées, nous voilà vulnérables, mais voyez comme tout d’un coup l’horizon s’est agrandi ! Et sentez cette envie d’aller explorer ce monde qui tout d’un coup s’offre à nous à perte de vue. Bien sûr c’est incertain et un peu dangereux, mais le plus grand risque ne serait-il pas de ne pas y aller, de rester sur ce tas de ruines, certain qu’il n’en surgira rien ? Voilà où se loge la liberté. J’ai le choix d’y aller ou pas. J’ai le choix de décider de prendre ma vie en main, ou de me laisser balloter par les évènements. Bien sûr je risque de me tromper de chemin, mais il y aura toujours la possibilité de changer de destination. En restant sur place, à l’inverse, j’ai la certitude de n’arriver nulle part.

Pour passer du statut de victime à celui d’homme libre, il me suffit de le décider.

Concrètement (oui pensez-vous, concrètement ?), qu’est-ce qui est possible aujourd’hui ?

En tout cas de semer des graines, encore une fois agir, et le vouloir. Par exemple :

  • Apprendre.  Une compétence, un savoir-faire, l’usage d’un outil, une langue…
  • Prendre des contacts, créer du lien, par tous les réseaux sociaux à votre disposition, et surtout par la voix (ça s’appelle le téléphone, ça existe encore, n’hésitez pas à vous en servir).
  • Lancer un projet. De produit, de service, d’art, de vie personnelle.
  • Lire, lire, lire. Ne négligeons pas les bienfaits profonds de la lecture. Sur les connexions neuronales, mais pas seulement. Elle développe notre imagination, ouvre la porte de notre créativité en grand. La lecture est aussi une sorte de communion. Quand on lit sous la plume d’un auteur l’exacte description de son ressenti, que l’on croyait unique, on sent que l’on fait partie d’une communauté d’humains qui se ressemblent. Donc lire.
  • Ecouter, encore mieux, jouer de la musique. Faites-le si vous pouvez là, maintenant. Suspendez votre lecture et écoutez, vraiment. Ne faites que cela. Et dansez si vous en avez envie. Reprenez votre lecture après. Je crois qu’il n’est pas besoin de mots. Vous sentez comme votre état d’esprit a changé.

Je vais quand même ajouter qu’il est démontré que l’écoute et la pratique musicale améliore les fonctions cognitives et la régulation émotionnelle en créant une « symphonie neuronale » qui inclut, mais pas seulement, la stimulation des circuits du plaisir et de la récompense.

  • Faire avec ses mains. Bricoler, dessiner, modeler, cuisiner, coudre, tricoter. Pas pour « se vider la tête », pour créer, donner vie à quelque chose.
  • Réfléchissez, doutez, creusez. N’oubliez pas que les fausses nouvelles peuvent se diffuser jusqu’à 100 fois plus que les vraies[2]. Usez ici encore de votre liberté, autorisez-vous à ne pas vous laisser porter par le courant, décidez de vos pensées.

Et surtout, faites quelque chose qui a du sens pour vous. Ne vous ré-enveloppez pas dans de nouvelles croyances comme dans une couverture bien moelleuse mais et qui vous empêcherait d’avancer. Ne subissez pas les diktats d’une société pas si individualiste, quoi qu’on en dise, dans laquelle « il faut » en permanence. Encore une fois, actionnez votre liberté. Faites à votre façon. C’est une des joies du confinement : il est plus facile de créer un monde qui nous convient, et nos petits espaces deviennent ceux d’une grande liberté.


[1] Voir l’excellent ouvrage « Rupture(s) » de Claire Marin

[2] Une étude du MIT entre 2006 et 2017 le démontre, et l’explique en partie par l’impact émotionnel (peur, degoût, surprise) de la fausse nouvelle, plus fort que celui de la vraie, ce qui sollicite plus notre besoin de partage.

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