Les bons mots

Je vous ai parlé de bonté (https://www.paulinecharneau.com/une-annee-de-bonte/) dans mon article précédent, et promis quelques moyens de la mettre en pratique.
Le premier, le plus aisément accessible mais pas le plus aisément maîtrisable, est le langage. Ce qui semble nous différencier de l’animal. Et ce qui véhicule si facilement cette méchanceté qui semble faire défaut aux animaux.
C’est le premier accord toltèque[1] : «  que ta parole soit impeccable ».  Il s’agit tant de ce que l’on se dit à soi-même que ce que l’on dit aux autres.
Impeccable est sans doute excessif. Il est si difficile de ne jamais rien dire de désagréable, un peu méchant, un peu cassant, un peu moqueur. Un peu. Mais bien souvent, le langage est d’une grande violence, et blesse plus sûrement qu’une arme, fut-elle blanche ou à feu.
Aujourd’hui je voudrais redire tout le mal que l’on peut faire en cherchant délibérément à blesser verbalement. Et vous enjoindre à choisir vos mots avec soin, en cherchant à augmenter la bonté dans le monde.

L’humain en colère est un producteur de mots souvent ignobles, vomis dans le spasme de la rage, puants et visqueux. Certains (en réalité une majorité je crois) pensent qu’il est bon de « dire ce que l’on a sur le cœur », et que si ces mots-là sortent, c’est qu’ils devaient être dits. Le raisonnement va parfois jusqu’à insinuer que la personne récipendiaire les a bien mérités, puisque c’est elle qui les a fait naître.

Je voudrais vigoureusement m’inscrire en faux face à ce genre de croyance :

  1. Maîtriser sa colère, la raisonner, la transformer en une action (qui peut être de ne rien faire ou ne rien dire) constructive, est bien plus efficace que de se laisser emporter par une vague de stress de lutte. Le coléreux croit que sa colère fait avancer les choses, en réalité elle ne fait que créer, chez lui et chez l’autre, l’inintelligence du stress. Observez un subalterne pris dans le feu roulant des cris, des menaces et parfois d’insultes d’un supérieur en colère, et vous ne verrez que désarroi, impuissance et action désordonnée – rien qui se rapproche d’une attitude rationnelle et productive. Sans compter que, moyennant quelques répétitions de ce traitement-là, la victime perdra le sommeil, l’énergie, parfois l’envie de vivre (voir mon article précédent).
    Notons de plus que, contrairement aux croyances populaires, il est meilleur pour la santé de juguler ses colères que de les laisser exploser dans un bain d’adrénaline et de cortisol.
  • Dire « ce qu’on a sur le cœur » n’est pas un droit, pas plus que de frapper physiquement. Les émotions négatives générées par un autre – ou une situation – vous appartiennent. C’est de votre responsabilitéde constater la violence des mots qui vous viennent à l’esprit, de comprendre la source intérieure de cette violence, et de décider de ne pas l’imposer à l’autre. La violence verbale est toujours un signe de faiblesse, mais c’est de votre faiblesse qu’il s’agit, et il vous appartient de ne pas la faire payer à d’autres en les blessant. Retenez vos mots, comme vous retenez vos coups (on a tous eu un jour envie de « casser la gueule » de quelqu’un, très peu d’entre nous l’ont fait. C’est la même chose).

Voilà pour les mots dits sous le coup de la colère. Mais il existe bien des circonstances ou des mots affreusement blessants sont dits ou écrits délibérément, parfois à l’appui d’une stratégie globale de destruction de la personne. Cela a beaucoup été dit lors du procès France Telecom, et il est bon de le rappeler, cette entreprise n’étant malheureusement pas la seule organisation à pratiquer le harcèlement moral. Les juges ont cité Mona Ozouf, selon laquelle « l’ensauvagement des mots précède l’ensauvagement des actes ».
Il me semble quant à moi que l’ensauvagement des mots est déjà un acte sauvage.

Que penser de ces jeunes gens qui désormais se traitent volontiers de « bitch », de connasse ou de salope (remarquons que la version féminine a toujours plus de succès) de façon prétendument amicale, de ces magasins de gadgets qui regorgent de mugs et autres objets inutiles portant en guise de message une insulte grossière ? Même si l’intention est humoristique, même s’il s’agit du reflet d’une culture « de la rue » valorisée en particulier par le rap, sentez-vous la violence cachée de cet usage de la langue ? Sentez-vous comme chaque fois le cerveau doit décider de s’il s’agit d’une marque d’affection, d’une insulte ou d’une menace ? Sauf à changer définitivement et entièrement de sens, le mot « conasse », même dit amicalement, aura toujours un effet stressant. En revanche, appeler vos amies « ma chérie » les enveloppera immédiatement d’une sensation de sécurité et de bien-être.

La « vanne » cinglante utilisée comme mode de communication crée elle aussi un environnement d’inconfort mental. Concours d’humour et moyen de domination, ces échanges qui font le succès des séries TV, transposés dans la vie réelle (souvent avec moins de talent, tout le monde n’a pas celui des dialoguistes de Friends) sont source de fragilisation mentale et de stress pour beaucoup. Pour tous sans doute.

Je n’ai pas envie d’en retranscrire ici les paroles des morceaux de musique les plus écoutés au monde,  mais voyez celles d’un groupe comme PNL, dont le dernier album a battu le record de l’album le plus écouté dans les 24h après sa sortie (19 millions d’écoute sur Spotify !). On oscille entre obscénités et violence (et violence obscène) – sans doute reflet du désespoir réel de certains – sans bien comprendre ce que la propagation de ce mode d’expression fait gagner au monde.

Pour citer le philologue Victor Klemperer « les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic ; on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet et voilà qu’après quelque temps, l’effet toxique se fait sentir. »

La violence verbale choisie, diffusée sciemment, souvent par les leaders d’opinions, à des fins de communication[2], est donc un lent poison qui condamne la société.

Mais nous pouvons chacun décider de dompter nos colères et de choisir, même par temps calme, des mots bons, qui ne blesseront pas nos cerveaux (n’oubliez pas d’être bon aussi, d’abord, avec vous-même), et qui y appliqueront un baume apaisant, condition préalable à l’utilisation de nos intelligences.


[1] « Les quatre accords toltèques : La voie de la liberté personnelle » de Miguel Ruiz 

[2] Une étude de l’université de Yale de 2016 montre que chaque mot offensant moralement (« moral outrage ») ajouté dans un tweet augmente de 17% sa quantité de retweets. Inutile de chercher plus loin pour comprendre l’incroyable succès d’hommes politiques comme Trump ou Bolsonaro

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