Et maintenant on fait quoi?

Vous souvenez-vous du moment précis où vous avez compris que vous alliez mourir un jour ? Je veux dire compris dans votre chair, pas dans votre esprit. Le jour où l’effroi vous a saisi, où vous avez senti la glace s’emparer de vous, ou votre corps a su qu’il n’était pas là pour toujours ?

Moi oui. Je tenais dans mes bras ma fille aînée, âgée de seulement quelques jours. Si petite, si frêle, si totalement dépendante de mes soins. Et j’ai réalisé qu’un jour, elle serait sur cette terre sans moi. Que les enfants survivent normalement à leurs parents est une évidence admise de tous, mais ce jour-là, la violence de ma qualité de mortelle m’a prise à la gorge. Je n’avais jamais jusque-là compris à quel point je tenais à la vie, comme chaque instant m’en était cher, comme j’avais envie de continuer à être là longtemps, très longtemps, pour voir mes enfants devenir grands, mais pas seulement.

La mort vue de près

caléidoscopePas très réjouissant, le sujet de mon papier d’aujourd’hui ? Sans doute. Mais inévitable, alors autant le regarder en face de temps en temps.

La consommation d’anxiolytiques en France à augmenté de 20% dans les jours qui ont suivi les assassinats atroces d’il y a deux semaines. Si c’est la liberté – aussi – que l’on a tenté d’assassiner, reconnaissons que tout au fond de nous-mêmes, c’est notre mort que nous avons, chacun de nous, individuellement, rencontrée. Elle ne s’est pas arrêtée sur nous, mais parfois chez nous. Nous savons quel visage elle a, et qu’elle rôde désormais dans les parages.

La valeur de la vie humaine, y compris celle que nous attachons à la nôtre, me semble un concept démocratique. C’est avec la liberté que la vie a pris un sens individuel. Elle n’appartient plus au roi, ni à l’église, elle est bien à nous, et c’est ainsi que nous nous sommes mis à la chérir. En réalité, c’est le droit de mourir librement que nous avons gagné. Celui de ne plus être de la chair à canons ou à bûchers.

Aujourd’hui, ce qu’il nous semble juste, c’est qu’un de nos semblables ne puisse pas nous imposer notre mort. Car quel homme pourrait avoir le droit légitime de voler la vie d’un autre homme ?

 « Il faut faire quelque chose »

Alors certains – des millions – ont défilé contre la barbarie. D’autres ont dessiné encore, ou écrit, ou parlé. On a beaucoup entendu qu’il fallait se réveiller, faire quelque chose, et on attend de notre président, de notre gouvernement, qu’ils aient la solution à toutes ces violences, ces incompréhensions, cette misère psychologique, affective, sociale. Ce que notre monde a créé en plusieurs siècles d’erreurs et de bonne volonté mal employée, de malvoyance et de tabou, de générosité dévoyée et d’intérêts mal compris, nous voudrions qu’il le défasse en quelques jours.
Or les débats qui naissent chez nous autour de chaque nouvel évènement violent, de chaque atteinte à la dignité humaine (oui, nous débattons de l’opportunité de laisser un despote massacrer son peuple, par exemple) me disent que la situation est tellement inextricable, l’écheveau tellement dense, les tenants et aboutissants tellement nombreux, que nous ne pouvons pas laisser cela à une poignée de politiques.

Non qu’ils soient pourris ou incompétents, comme certains aiment le clamer. Mais parce que ce sont juste des hommes et des femmes, des individus qui, parce que nous vivons en démocratie, ne sont pas omnipotents, et qui, quels que soit le régime, ne sont pas omniscients. Pourquoi un homme aurait-il la réponse pour 66 millions d’autres ? Le « il faut faire quelque chose » entendu ad nauseam, quelle forme peut-il prendre ? Quel pouvoir avons-nous, chacun, citoyen du monde libre ?

Exigeons de nous-mêmes d’abord

Et bien il me semble que nous avons celui de tendre la main à notre voisin, de dire bonjour au chauffeur du bus, d’aider la vieille dame à porter ses paquets, d’écouter l’autre et de lui donner un peu de notre temps (n’est-ce pas la chose la plus difficile à donner ?), de rester courtois en toute situation, de faire taire nos jugements hâtifs, pourquoi pas de sortir les gens des cases dans lesquelles nous les avions rangés. De porter sur le monde un regard attentif et généreux, de reconnaître les différences mais aussi les similitudes, de laisser la tendresse et la vulnérabilité parler, et de permettre à l’autre d’être tendre et vulnérable.

Parce que nous aimons la vie, que nous avons eu une peur bleue de la perdre trop tôt, parce que d’autres que nous l’ont perdue sans raison, parce que tout cela défie le sens commun, il serait merveilleux que chacun se sente un peu responsable de tous. Si chaque homme libre vivait comme il aimerait que le monde vive, l’addition de ces bonnes volontés ne serait-elle pas plus forte que la parole de quelques-uns et les résolutions des organismes supra-nationaux qui, pour avoir été mus à l’origine par de nobles idéaux, semblent aujourd’hui inaptes à faire face aux drames humains sur la planète ?
Entendez-moi, je ne propose pas un rejet de l’Etat ni des organisations en général. J’imagine juste, qu’en plus, nous pourrions nous sentir individuellement en charge du devenir de l’humanité. Cela semble simple, et l’est d’ailleurs. Cela demande cependant beaucoup de vigilance et d’exigence, vis-à-vis de soi-même d’abord. Mais ça pourrait tout changer. A commencer par notre façon de mourir.

On commence ?

 

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