Brève méditation

méditantCeux qui ont lu mon livre[1] le savent, je crois à la méditation pour agrandir la vie (voir p.247 à 261). Mais comme nous ne sommes pas tous Matthieu Ricard et que nous dédions déjà beaucoup de volonté et d’énergie à mener nos vies, il est possible, sans renoncer à cette hygiène mentale, de parfois la remplacer par des moments brefs de concentration absolue, qui ont pour effet immédiat de faire baisser le stress et sans doute avec lui toutes ses manifestations si néfastes à notre santé.

J’aime raconter à mes clients, pour les en convaincre, ce que j’ai nommé en moi-même l’anecdote du papier sulfurisé. Je voudrais le partager avec vous tous aujourd’hui, car son insignifiance apparente recèle en réalité un grand enseignement. Il parlera sans doute plus aux mères de famille, mais je suis sûre que vous qui me lisez et qui n’en n’êtes pas une saurez facilement en trouver l’équivalent dans votre vie :

Depuis que j’ai des enfants (19 ans aujourd’hui même!), je m’efforce de ne pas travailler le mercredi. Petits, c’est le jour où il faut les transporter à leurs différentes activités, chez le pédiatre ou à un goûter d’anniversaire. Plus grands, c’est l’occasion de déjeuners familiaux, de temps d’écoute et de rires, d’une heure partagée autour de leurs passions ou de leurs soucis.

Mais cette volonté de disponibilité, doublée de celle de « profiter » de ce temps libre pour aussi aller au marché, cuisiner, aller chez le coiffeur, finir la rédaction d’un article, envoyer quelques mails et téléphoner au plombier, peut vite faire basculer la journée en un petit enfer domestique. Dans ce cas, devant l‘échec de ma stratégie et l’éloignement de la sérénité à laquelle j’aspire tant, ma frustration s’épanouit tel un serpent dans mon cœur, et de maman parfaite je passe à harpie domestique.

Une de ces fois où j’ai senti ainsi que j’allais stupidement gâcher la journée de tout le monde par mon excès de zèle, qui incluait la confection d’une tarte avec ma plus jeune, j’ai pris conscience de la façon dont le stress était en train de me dévorer pour des enjeux mineurs – qui le paraissent d’autant plus qu’ils sont domestiques, mais réfléchissez bien et vous en trouverez le pendant aussi anodin au bureau -, je crois même, moi la ponctualité faite femme, avoir silencieusement accepté l’idée d’être en retard au rendez-vous qui me pressait tant d’en finir avec mes travaux de pâtisserie, et j’ai décidé, à cet instant-là, de vivre chaque minute une à une, comme si chacune était la dernière.
Je me suis donc concentrée sur mon geste, qui était alors celui de découper du papier sulfurisé pour l’adapter au diamètre de mon moule à tarte. Ce faisant, je me suis particulièrement attachée à écouter pleinement le son que ce découpage provoquait. Ce n’est pas le même que celui d’un autre papier entre des lames de ciseaux, il a quelque chose de craquant, de sec, de très sonore. Je l’entends encore et il est resté pour moi un symbole de vie. Car vivre c’est donner de la place à chaque sensation, c’est accueillir consciemment dans son espace tous les phénomènes, aussi minimes soient-ils, qui y prennent place. Imaginez-vous faisant cette tarte, sans sentir sous votre couteau la fermeté de la chair de la pomme, sans en entendre le son à sa découpe, sans voir les gouttes de jus perler sur la lame, sans éprouver sous vos doigts la sensation du fruit cru, sans sentir le parfum qui s’échappe ensuite du four. Tout cela a eu lieu, mais vous ne l’avez pas vécu. Vous l’avez laissé échapper pour penser au retard que vous preniez, au travail qui vous attendait, à un dossier épineux, sans que ces pensées ne soient d’aucune utilité. Elles vous ont juste éloigné de la vie, du présent, de vos sens. Bien souvent les travaux manuels nous servent à cela : penser.
Je vous invite ici à tenter autre chose. A être tout entier à votre action, quelle qu’elle soit, en fournissant l’effort d’être pleinement conscient de tout ce qu’il se passe là. Pour continuer dans la veine ménagère, j’ai découvert hier le son d’un carré d’éponge sur la pierre de mon plan de travail. Je l’ai écouté longuement, avec une grande concentration, chassant ainsi toutes les pensées qui se précipitent au guichet le dimanche après-midi pendant vous effacez les traces du déjeuner familial.

Ces instants de concentration sur ce qui est, et non sur nos pensées, sont en réalité très proche de la méditation, et en ont les mêmes vertus. Chaque journée nous en propose des occasions, il n’y a qu’à les saisir : dans les embouteillages, en prenant pleinement conscience de son corps, du contact avec le siège, de la position des mains sur le volant, en regardant le tableau de bord comme si on ne l’avait jamais vu. En marchant dans la rue, en ressentant la température de l’air sur son visage, en entendant le bruit de ses pas, en prenant conscience de sa posture (ce qui invariablement nous fait nous redresser), en regardant une rue familière comme si c’était la première fois qu’on la prenait. Assis à votre bureau, sentez le contact avec la chaise, écoutez les bruits « muets », ceux qu’on ne remarque pas, la vibration d’une climatisation ou d’une imprimante , la rumeur de la rue, une sirène de police au loin, le voisin qui s’assied bruyamment, le tintement de l’ascenseur arrivant à l’étage… Réunissez les tous dans votre univers, réalisez qu’il est fait de tout cela, de toutes ces manifestations de vie et de mouvement, que tout cela se passe maintenant.

Voilà de toutes petites choses qui soudain changent diamétralement votre façon d’être, les vibrations de votre corps, les influx nerveux qui le traversent, votre vision, votre capacité de conception, et finalement, ensuite, votre créativité. Car ces instants de conscience et de concentration libèrent votre esprit et permet à ce que Stanislas Dehaene appelle l’espace de travail global[2] de fonctionner sans que vous veniez le brider, le canaliser, lui imposer vos méthodes routinières.

Tentez l’expérience, plusieurs fois par jours, quelques minutes. Vous ouvrirez la voie à un autre vous-même, plus grand. Vous donnerez de l’espace à votre Grand Moi.

 

Illustration Louise Charneau (instagram: draw.me.a.lady)

[1] Libérez votre Grand Moi – Editions du Moment

[2] Le Code de la conscience – Stanislas Dehaene – Editions Odile Jacob

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