On n’a que ce qu’on mérite

On n’a que ce qu’on mérite. J’ai encore entendu cette maxime récemment, et l’ai trouvée assez sotte. Puis je me suis demandée si je l’entendais comme il fallait.
S’il s’agit du mérite né du labeur, de l’effort, des difficultés surmontées, du courage, je ne suis pas sûre qu’il soit directement corrélé à l’avoir. Mais « avoir » quoi ? Personnellement, je ne possède rien, je dois donc être une femme de peu de mérite. A moins qu’il ne s’agisse « d’avoir » au sens plus large de ce qui est présent dans nos vies, ce qui est là pour nous, autour de nous, dont nous jouissons ou que nous subissons – notons en effet que cette affirmation est à double lecture, positive ou négative, on « a » de belles choses ou de vilaines, grâce à notre mérite ou notre absence de mérite – s’il s’agit donc des cette acception généreuse du mot avoir, je me sens déjà beaucoup plus concernée. Comme nous tous, « j’ai » beaucoup. De plaisir et de déplaisir, de joies et de peines, de soucis et de récompenses, d’angoisse et d’espoir.
Qu’ai-je fait pour les « mériter », dans quelle mesure suis-je maître de mes émotions et de ce que j’en fais, voilà un questionnement qui rejoint celui de la liberté, sujet de réflexion multi-millénaire, auquel la science du cerveau finira peut-être par apporter une réponse définitive, mais nous n’y sommes pas encore tout à fait.
Pour moi, si je ne nous pensais pas un peu libres, je n’exercerais pas ce métier de coach qui propose à chacun de prendre son destin en main et de marcher délibérément sur la route de l ‘épanouissement, même si je reconnais qu’il existe des obstacles qu’il faut parfois momentanément renoncer à surmonter, en acceptant humblement, pour un temps, le désagrément d’une situation.

Mais revenons à notre mérite. Ce que « j’ai » de plus grand et de plus important dans ma vie, ma plus généreuse source de joie et de peine, ce sont de toute évidence mes trois enfants. En quoi les ai-je mérité ? Plus qu’une femme ou qu’un homme que la nature aurait privé de la possibilité d’engendrer ?
Puis qu’ai-je fait pour que mes enfants soient ce qu’ils sont aujourd’hui ? L’éducation, et ma supposée clairvoyance en la matière, ont-elles un tel pouvoir sur le devenir de l’individu que je pourrais m’attribuer un mérite quelconque quant à leur intelligence, aisance sociale, réussite, beauté, équilibre, et quant à l’épanouissement qui en découlerait, si cela devait être ? Serais-je un « deus ex machina » qui aurait façonné trois être humains dans la glaise ? Non. J’ai donné beaucoup, mais peut-être à tort et à travers, et j’ai reçu beaucoup aussi. Et j’ai coutume de dire que si j’avais eu le pouvoir de créer mes enfants, de les « designer », le résultat n’aurait pas été, de très loin, aussi satisfaisant que ce que la réalité a révélé. J’aurais manqué d’imagination et de talent pour façonner ces êtres aussi riches et attachants. Donc, en ce sens, aucun mérite.
Il y a bien un peu de souffrance, un peu d’inquiétude – parfois aussi un peu de colère ou de déception, soyons tout à fait honnête – qui pourraient fournir matière à un mérite de troc, de l’ordre de « puisque j’ai enduré cela, j’ai droit à une compensation ». Mais comment mesurer cette dette, et que penser des enfants indignes qui non seulement ne la remboursent jamais mais continuent de puiser dans les réserves parentales toute leur vie (je parle ici de réserves morales) ? Ces pauvres parents ont-ils « mérité » cela ? Je ne le crois pas. Ou pas toujours.

Donc le mérite comme unique facteur de ce qu’il nous arrive : on n’a que ce qu’on mérite, je n’y souscris pas.

Mais chemin faisant, dans cette petite réflexion née de façon impromptue et peu disciplinée en moi, naît l’idée que le seul « mérite » que l’on peut voir récompensé par « l’avoir » est peut-être celui de voir vraiment les choses et de s’en réjouir correctement. Cette petite pelote d’idées et de vagues intuitions m’est venue, faut-il le dire, en parcourant le fil de ce réseau qu’il m’est arrivé de critiquer ici (voir Saboter les réseaux) mais qui, fréquenté avec parcimonie et distance, m’amuse plutôt : Instagram. Une photo donc, prise au cours d’un voyage, et de laquelle l’auteur se réjouit ouvertement d’avoir l’occasion de découvrir le monde et d’en déguster les merveilles (ici au sens propre du terme, il s’agissait d’un plat typique de la région en question). mériteCette photographe occasionnelle et au demeurant prolixe a la qualité à mes yeux d’avoir une grande sincérité, beaucoup d’humour, et une distance très satisfaisante avec son amour propre. Son plaisir est sincère et vrai, la photo n’est pas là pour servir le roman d’une vie mais bien pour partager des instants puissants. Et si j’en suis là dans cet article basé semble-t-il sur la disgression (au feu le plan Sciences-Po), c’est que quelqu’un lui a écrit un « on n’a que ce qu’on mérite », suivi je crois d’un « ? » bienvenu, et qui a été le point de départ de mon vagabondage sur le sujet, que je partage aujourd’hui avec vous.
Car si je ne connais pas personnellement cette dame qui partage ses voyages et bien d’autres choses avec nous, et si je ne doute pas de son « mérite », mais elle me semble surtout avoir une grande capacité à se réjouir de ce que la vie lui offre, et je sens à travers ses photos et leurs légendes une attention aux choses et aux gens, aux petits signes, au plaisir des sens, à la joie d’un jardin, d’une plage au mois de juin, d’un chat câlin ou d’une couleur particulière, en bref une attention portée à la vie, qui « mérite » peut-être récompense. Mais cette récompense est très particulière, dans la mesure où elle est générée par le seul acte d’être présent à ce qui est, comme s’il fallait tendre l’oreille, humer l’air, scruter l’environnement pour y trouver matière à se réjouir, comme si l’attention portée aux choses réverbérait du bonheur.
En revanche, celui qui ne voit pas, qui ne sent pas, qui n’est pas là, n’a pas « mérité » d’en retirer du bien-être. Et ne flottent en lui que des sensations vagues, le plus souvent grises ou amères, qui voilent la lumière et la chaleur.

Et il me semble que cela est aussi valable pour les relations amoureuses. Que de fois sommes-nous tentés de consoler un(e) ami(e) éconduit(e) par un « il/elle ne te méritait pas ». Sans doute faux en termes de valeur humaine, de qualités objectives, mais juste dans la mesure où celui qui quitte n’a pas su voir la richesse et la beauté de l’autre, faute sans doute d’avoir essayé. Et ce manque de curiosité, d’ouverture à l’autre, de perspicacité, le/la rend en effet peu « méritant ».

La bonne nouvelle, c’est que ce mérite que je pressens comme étant la cause de notre bien-être ne coûte rien, si ce n’est de s’y entraîner (je vous propose un cas pratique ici Brève méditation). 
Aucune douleur, aucune courbature de l’âme ne sont au programme, bien au contraire. Sur le chemin ne se trouvent que tranquillité et apaisement.

Essayez. Offrez simplement votre conscience aux choses, elles vous le rendront !

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