Je pense donc je suis? Pas si sûr…

illustration Je pense ...

Je m’interrogeais récemment sur ce qu’il se passe quand je ne ressens pas l’urgence d’écrire, de mettre en forme mes pensées:  La vie m’absorbe-t-elle trop ? Occupée à vivre, à lutter contre les courants contraires ou à me laisser porter par les vents amis, j’en oublie la réflexion. Et donc ? Suis-je moins intelligente, moins performante ? Ou d’avoir quitté un peu ma tête m’a-t-il rendue au contraire plus intuitive, plus à l’écoute de mes sens, de mon imagination, de mon cœur ?

La réflexion semble imposer la distanciation, d’avec soi-même et d’avec le moment présent. C’est une sorte de voyage qui peut avoir comme point de départ, et comme base arrière, l’introspection, et qui exige de considérer toutes les perspectives, de revenir sur l’acquis, le déjà vécu, le déjà dit, indispensables combustibles de la pensée, qui seuls peuvent la projeter dans la découverte d’horizons vierges, de terres nouvelles, d’espaces encore libres.

Le cheminement est complexe, maîtrisé à force d’exercices et de rigueur, ingrat souvent, stérile parfois.

Mais il est comme une hygiène de l’esprit, il est une gymnastique qui délie les muscles pensants et les échauffe, pour leur permettre de changer le monde.

Changer le monde : oui, je ne vous le cacherai pas, à ma minuscule échelle, c’est l’ambition que j’ai. Si je peux éclairer quelques personnes de ma lanterne vacillante mais dont je tente de toujours maintenir le feu, si je peux toucher quelques cœurs et quelques esprits, si je peux soulager quelques douleurs et donner de l’élan à quelques belles actions, j’aurai à ma façon changé le monde.

Par mon esprit donc, principalement.

Alors quand mes pensées (productives j’entends, pas la ratiocination dont je suis parfois la proie, ou les masses de pensées inutiles qui s’entrechoquent sous mon crâne à chaque instant) quand mes pensées donc semblent m’avoir quittée, ai-je renoncé, pour un moment, à ma mission ? Flottai-je dans une zone de non-être, d’inutilité, de non-impact ?

Ou bien s’agirait-il au contraire d’un moment de grâce où la fusion est faite entre l’être et le faire, entre la tête et les jambes, entre le corps et le cœur? Un moment de flottement peut-être, mais d’harmonie parfaite, pendant lequel tout en moi peut capter les signes, les digérer et les transformer, inconsciemment, en quelque matière qui se révélera utile dans un autre temps?

Il semble que notre véritable intelligence soit inconsciente. C’est donc quand je pense le moins à la façon de formaliser et de transmettre une idée qu’elle prend réellement forme. Ma compréhension du monde est plus juste si je m’en remets à mon intuition.

Je pense donc je suis ? Pas si sûr. Ou alors pas la pensée construite, consciente, celle à laquelle justement Descartes a donné son nom.

Et si ce qui fait la fierté de l’esprit français était aussi ce qui causait sa prétendue perte, ou à tout le moins le déclin si souvent annoncé ? Si cette belle intelligence rationnelle n’était pas assez performante pour appréhender un monde incroyablement complexe et rapide ?

S’il nous fallait désormais développer d’autres formes d’intelligence, plus holistique, plus ouverte, plus apte à capter des signaux jusque-là méprisés, à intégrer des données « molles », à imaginer l’inimaginable, à accepter l’inconcevable ? S’il s’agissait désormais de vivre au présent, sans se retourner, ni se projeter – car on ne peut que se tromper -, juste être là, ici et maintenant, et sentir ce qui se passe de tout notre être, désormais seul moyen de vraiment comprendre ?

Cette intelligence-là existe bien en nous. Confiez une tablette numérique à un enfant de 3 ans et vous la verrez jaillir. Confiez la même tablette à un quinquagénaire et vous verrez ce que notre éducation et nos préjugés ont fait de cette intelligence. Il serait sans doute temps d’imaginer un système éducatif qui valoriserait l’intuition, la créativité, et qui utiliserait cette incroyable capacité de nos enfants à passer d’une tâche à l’autre, voire d’en mener plusieurs de front, sans doute au prix de la profondeur, mais comment approfondir un monde aussi vaste ? Pourquoi plonger quand le monde en surface s’offre de manière si merveilleusement illimitée ?

L’envie vient plus tard, et différemment. Quand tout a été approché, goûté, chacun peut alors vouloir se spécialiser, en connaissance de cause. Et y trouver un plaisir qui nourrira la motivation, et tout en gardant une approche intuitive et globale.

Voilà donc où m’a mené ma réflexion sur la « non-pensée ». Je l’ai partagé avec vous sous une forme bien éloignée du plan en deux parties qui m’a été enseigné. Mais ne m’aurait-il pas enfermée dans un carcan contraignant, ennemi de la créativité ?

Mon baguenaudage m’a permis de visiter plus de lieux, de faire naître plus de possibilités, d’esquisser plus de pistes. Certaines que je n’ai pas approfondies ici mais auxquelles je redonnerai vie plus tard. L’essentiel étant d’avoir stimulé votre créativité. Dans ce cas j’aurai un tout petit peu changé le monde. Qu’en pensez-vous ?

 

Illustration: Portrait de René Descartes par Frans Hals

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