Comprendre, quel plaisir!

Le plaisir de comprendre, gratuit, ne demandant aucun accessoire extérieur ou moyen matériel, est néanmoins pour moi l’un des plus intenses. Le travail prodigieux qui s’effectue sous nos crânes, pour finalement nous délivrer une réponse, me réjouit une première fois lorsqu’il a lieu et une deuxième lorsque j’en étudie le mécanisme, double plaisir renouvelé chaque jour. Je voudrais partager avec vous cette micro-aventure que nous vivons tous à chaque instant mais à laquelle nous ne prêtons souvent pas attention:

Mon cerveau, nourri à l’extrême, puis prié de se livrer à des exercices de digestion et de transformation, va très fidèlement se plier à mes exigences. Il va tenter autant de suppositions que possible, sans croire à beaucoup. Il voudrait appliquer une méthode fiable mais se laisse séduire par les idées les plus aguicheuses, celles qui vont atténuer ses souffrances, confirmer ses déductions précédentes, raconter les histoires les plus cohérentes.
Il va parfois s’arrêter en route, irrité, parfois triste, saisi d’un sentiment profond d’inutilité. Il va alors se révolter, trouver la vie bien surfaite, toute cette incroyable complexité ridiculement disproportionnée à l’usage qui en est fait et au résultat obtenu. Dans ce cas, il va tenter l’impossible : cesser son boulot. Mais si les muscles peuvent se décontracter, le corps s’immobiliser, l’esprit, lui, est comme un enfant qui ne veut pas s’endormir : même lorsque toute la maison est plongée dans la nuit, il continue de se raconter des histoires tout bas, se relève, parfois se met à jouer ou à danser, s’excite. Le voilà en surchauffe, affolé dans sa solitude. Il prend peur, se bagarre contre les ombres, se laisse envahir par la panique, pleure, crie, et soudain lâche. Epuisé, il s’endort finalement, mais continue à être agité de mouvements involontaires, désordonnés.

comprendreAu réveil, il aura quelque chose à me dire. Ça commence toujours sans que je m’en rende compte. Des lambeaux de sens flottent dans mes pensées vagues et les colorent pour m’alerter, comme un produit chimique versé dans l’eau. C’est presque gênant. J’ai envie de les écarter de ma vue intérieure, ils m’empêchent de me concentrer sur ce que j’ai à faire, me distraient de mes réflexions organisées, parasitent le cours tranquille et automatique de ma vie. Mais si je les chasse, ils vont se regrouper dans un coin, y concentrer de l’énergie, y grandir, et revenir plus forts, bien décidés à ne pas se laisser écarter. Alors je capitule. Je les laisse prendre leurs aises, je les contemple. Et tout à coup ils forment un ensemble cohérent, clair, évident, lumineux. Ils s’installent et prennent en même temps que les commandes de mon esprit, celui de mes sens. Une énergie neuve, puissante, fluide, roule dans mon corps comme une source à laquelle je remplirais ma cruche pour étancher ma soif. Je sors de la pénombre, le rayon de soleil m’appelle à le suivre, je me précipite en courant, légère, gaie, toute à l’instant présent, habitante consentante et pleine de mon corps : J’ai compris !
Cela peut être le comportement obscur d’un proche, la phrase trop dense d’un philosophe, la démonstration ardue d’un scientifique, le maniement complexe d’un appareil, ou quelque chose qui se passe en moi, qui mûrit depuis longtemps sans se laisser voir, ou qui se contentait jusque là de laisser flotter son parfum ou entrevoir par instant l’éclat de ses couleurs. Une idée que j’ai envie de mettre en mots mais qui regimbait à être saisie, un désir tapi dans l’ombre qui pesait sans montrer son visage, un sentiment qui s’était déguisé du masque d’un autre et me faisait faire fausse route.

Mais il arrive aussi que je ne comprenne pas. Que tous les efforts que je mène ou que mon cerveau tente de faire en solitaire échouent dans l’obscurité.
Ce sont par exemple les exercices de mathématique de mon enfance. Aucune leçon particulière, prise pourtant avec acharnement, n’est venue à bout de mon incapacité à l’abstraction. Pourtant je me souviens affreusement bien du parfum un petit peu écoeurant d’un étudiant ennuyé et ennuyeux, qui ne me fit jamais même entrevoir la magie des chiffres, au point que la seule idée de cette discipline a fini par me donner un haut-le-cœur. Détresse absolue. Mon corps se recroqueville, mon regard s’éteint, l’énergie s’écoule en dehors de moi comme le sang d’un blessé. J’ai froid. Envie de pleurer. Moins envie de vivre.
Et pourtant autour de moi rien n’a changé, il fait toujours beau dehors, les bruits familiers de la maison et le fumet du déjeuner qui se prépare enveloppent ma petite personne acharnée et désespérée, la vie devrait toujours être douce, mais …  je ne comprends rien.

Vite, donnez moi quelque chose que je comprenne !

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