Choses palpables

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MP3 contre Vinyles

Alors que je commence à m’intéresser aux tablettes de lecture électroniques qui me permettraient d’emmener plusieurs milliers d’œuvres en vacances et d’ainsi satisfaire mon éclectisme littéraire, ma fille de 14 ans hante les librairies et rapporte à la maison force volumes de toutes sortes. J’ai arrêté d’acheter des CD, convertie au téléchargement (légal et payant bien sûr) mais les adolescents se ruent sur les vinyles et les tourne-disques idoines.  Les fabricants se sont échinés à miniaturiser les écouteurs et tous les jeunes gens se promènent dans la rue avec d’énormes casques sur les oreilles. Ils aiment aussi brancher de gros combinés à l’ancienne sur leurs « smartphones ».

Vu ainsi cela pourrait ressembler à un phénomène générationnel, une nostalgie comme une autre, ou, paradoxalement, un moyen pour les plus jeunes d’affirmer leur différence face à des parents qui ont adopté goulûment toutes les nouveautés technologiques.

ou réel contre potentiel ?

Mais à y regarder de plus près, les générations plus anciennes présentent des symptômes similaires : nous sommes nombreux à être restés attachés à l’agenda « papier », à nous remettre à utiliser un appareil Polaroid , encombrant et sensuel, qui  produit un objet-photo qui va passer aussitôt de main en main, à faire notre propre pain ou à passer en cuisine des heures que les générations précédentes auraient rêvé d’utiliser autrement.

Il me semble que nous avons tous besoin d’avoir des relations physiques, sensuelles, avec ces fameux objets inanimés que Lamartine soupçonnait d’avoir une âme, alors que la vie quotidienne se dématérialise de plus en plus, souvent pour le bien de l’économie et de l’environnement, mais avec pour conséquence une perte de contact avec le réel. Le vocabulaire en atteste : je trouve comme synonymes de virtuel « possible, potentiel, théorique ». L’être humain a pourtant besoin de certitudes, et de choses pratiques.

Par exemple, de nombreux services ont adoptés des systèmes permettant de les régler sans toucher à rien : ni argent liquide, ni terminal de paiement, ni machine ou ticket.
Pour ceux de ma génération, souvenez-vous de la « carte orange », mère du « pass navigo » (au passage la langue française en a pris un coup, mais ce n’est pas le sujet) : je me souviens encore du toucher de l’étui en plastique que l’on cherchait au fond de sa poche, de l’angle piquant du coupon mensuel qu’il fallait saisir entre le pouce et l’index pour le sortir dudit étui et l’insérer dans la fente du portillon. Aujourd’hui, vos mains sont inutiles, la carte est magnétique et un lecteur la détecte à travers votre veste. Aucune sensation d’avoir payé son dû à la RATP. Je viens de recevoir ma nouvelle carte bleue et je comprends à la lecture d’un prospectus joint que j’aurai désormais le plaisir de pouvoir payer sans introduire ma carte dans le moindre appareil, et sans doute sans appuyer 4 fois sur le clavier du terminal pour composer mon code. Presque comme si je ne payais pas du tout non ?

toucher pour penser

Je crois que le toucher est essentiel, qu’il est directement connecté à notre âme justement, ou à tout le moins à notre cerveau pensant. En sentant le monde, je commence à le penser. Laissez un enfant découvrir un environnement quelconque, il touchera tout (d’où l’injonction permanente qui lui est faite de regarder sans toucher). Quand je rentre dans une boutique de vêtements ou d’objets, il faut que je touche, que je sente dans ma paume la douceur ou la dureté, la fluidité ou la raideur, la chaleur ou la fraîcheur de la chose. Et j’aime aussi faire rouler sous la pulpe de mes doigts un grain de raisin ou une pomme avant de croquer dedans, passer ma main sur mon oreiller frais avant d’y poser la tête, je crois même gratifier mon ordinateur d’une caresse avant de l’utiliser.

et pour agir

En écrivant cela, je sens le creux de mes mains  et mes dix doigts s’animer, et cette sensation irradie tout mon corps. Je suis assise mais j’ai besoin de mouvement, d’ailleurs voilà, je me lève, j’entre en d’action, une foule de choses sont apparues dans mon esprit : Le toucher est un moyen d’appréhender le monde, de le comprendre et de l’habiter.

Voyez ce qu’on appelle palpable : au sens propre « que l’on peut sentir au toucher,  au figuré, « qui est clair, dont on peut se rendre compte, dont on touche du doigt la réalité. » (Dictionnaire de l’Académie Française)

Sans rien à palper, nous sommes privés de ce réel, et de l’impulsion active et créative qui en naît. Mais voyez comme nous nous défendons bien, et recréons du matériel là où l’industrie tente de le faire disparaître !

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